Je l’ai d’abord entendu. Un vrombissement dans le petit matin froid. Avez-vous remarqué, vous aussi, combien le silence se fait plus intense au fur et à mesure que la température baisse ? J’ai levé la tête de ma tasse de thé, cherchant des yeux celui qui était à l’origine de ce vacarme emplissant tout l’espace.
Puis je l’ai vu, sautillant de fleur en fleur, déplaçant son corps noir et jaune dans une forêt de pétales roses, délicats et fripés. Son manège a fini de m’éveiller. Il était seul. Premier bourdon du monde. Premier bourdon de cette nouvelle vie qui s’éveille pour le clan des bourdons à chaque printemps.
D’où venait-il ? Que lui était-il arrivé ? S’était-il, comme dans ces films de science-fiction, réveillé trop tôt ? Ou n’étaient-ce pas plutôt les autres qui tardaient à revenir au monde ?
J’ai posé ma tasse. Je suis partie chercher mon téléphone. Aujourd’hui, je regrette un peu, j’aurais sûrement fait de plus belles photos avec le Canon et son 100mm macro. Mais le téléphone était là, pas très loin. J’ai craint que le bel animal ne parte avant mon retour, n’attende pas que je chausse le bon objectif sur l’appareil photo. Je sentais cette urgence, les secondes qui étaient comptées. Et puis comme toujours, j’ai préféré vivre l’instant plutôt que l’immortaliser. Alors le téléphone, c’était bien.
Aujourd’hui, en ce lendemain d’un hiver de deux jours venu nous rappeler que la nature fait bien ce qu’elle veut, je suis là, debout, au même endroit, avec la même tasse emplie d’un même thé (rituel du matin). Je regarde le jardin. J’ai froid. Les fleurs de pêcher sont fanées et ont fait place aux feuilles. Il n’y a pas de bourdon, pas d’abeille. Eux aussi doivent être frigorifiés. Je songe à ce matin-là et à ce visiteur insouciant et bruyant, débordant de vie. Je souris. Et un vrombissement emplit l’espace. Il va faire beau.